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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Mermed (19)

Mermed  (19)

 

Mermed avait continué ses études, sa recherche, était ce une auto analyse? Peu importait les mots, il fallait qu’il sache à quoi, à qui il se raccrochait, où était sa parenté, ce qui avait fait de lui ce mélange de rejet et de violence pendant la première partie de sa vie. Il se demandait pourquoi les dix premiers mois de prison, juste après le crime étaient passés sans qu’il en ait gardé le moindre souvenir. Il fallait qu’il sache si Béa qu’il avait tant aimé et qui l’avait aimé – il le savait – avait en plus été son mauvais ange, si elle avait menti, si elle l’avait volontairement amené à commettre cet assassinat. Les mois de prison lui avaient donné une lucidité qu’il n’avait jamais eue auparavant. Il était prêt, il pouvait tout apprendre, tout entendre, il résisterait. Pendant les derniers temps, il était devenu un autre – à moins qu’il ne soit devenu lui-même. Il savait que Gregor lui avait caché quelque chose, qu’il ne lui avait pas tout dit de la conversation avec Madame Dore, des choses qu’il n’avait pas dites parce qu’il croyait Mermed encore fragile. Lui se sentait fort, mais ceux qui le connaissaient le mieux étaient moins sûrs que lui de sa force, de sa nouvelle sérénité. Il fallait qu’il s’impose une discipline encore plus rigoureuse, une ascèse totale. Il se fixa des points de repère dans ses journées qu’il allongea encore plus, chaque instant était maintenant occupé, dans toutes les tâches il essayait d’atteindre à la perfection, et c’était pour lui et pour lui seul il était dans un lieu fermé, dans un monde hostile à chacun mais un monde sans discipline. Tous ces efforts n’avaient qu’un but: lui et lui seul, lui et son passé. Supprimées toutes les grasses matinées, les après midis passées sur le lit pour lire, la plus grande rigueur avait envahi sa cellule et peu à peu il sentait que quelque chose s’installait en lui, quelque chose qui ressemblait à de la dignité, la dignité de se faire face et de vivre avec un assassin sans oublier. Les autres détenus et même des surveillants l’avaient remarqué. Ils lui parlaient différemment à moins qu’il ne ressentît les choses ainsi… C’était peut être qu’il n’avait plus besoin que de son seul regard, qu’il pouvait ignorer le regard des autres sur lui ce regard qui avait été si important pour lui.

 

La soirée chez Ichebac et sa femme a été agréable, détendue. La femme de Jean Paul, infirmière, est à peu près de son âge. Ils ont parlé de tout et de rien, et puis ils sont revenus à l’enquête d’une drôle de façon.

- Tu sais – ils avaient décidé de se tutoyer la veille- j’ai commencé avec ton père à Paris, c’était lui le patron.

- Pourquoi es tu parti?

- Il m’a rencontré c’est Catherine qui intervient, et comme je n’ai pas voulu quitter mes montagnes..

- Je suis venu et non rien de rien, je ne regrette rien, sauf ton père, quel flic c’était.!.

- Il paraît.

Ils bavardent encore un peu.

- Catherine, tu vas m’en vouloir, mais on travaille tout le week end.

- Je sais, il me l’a dit, je vais aller chez mes parents, au chalet, les enfants feront du ski. Et cette histoire le passionne.

- Il t’a raconté?

- Dans les grandes lignes.

- Qu’en penses tu?

- C’est une vengeance ou un avertissement.

- Je suis bien d’accord, pour qui?

- Un détenu, un surveillant, tu sais il y a un surveillant dont des types sont venu agresser la femme et les gosses il y a quelques jours.

- Peut être aussi pour un flic…

- Je n’y ai jamais pensé, mais maintenant que tu le dis, pourquoi pas dit Jean Paul.

La dessus elle rentre et comme depuis quelques jours, lit un autre texte. Elle prend celui sur la bibliothèque.

 

 

 

«Quand on arrive en prison, on pense – si cela nous intéresse – que l’on trouvera quelques livres dans une bibliothèque circulant dans les étages, comme cela arrive dans certains hôpitaux, une visite que l’on pressent rare et peu intéressante et on regrette encore davantage que le greffe ne nous ait pas permis de prendre le Musset que l’on avait avec soi. Et puis ce regret s’estompe lorsque l’on apprend qu’il y a une bibliothèque une vraie bibliothèque, au rez de chaussée, à côté de la cour de promenade. On nous dit aussi que cette bibliothèque est ouverte le mardi et le jeudi. On attend alors avec impatience le premier mardi, c’est pendant la promenade de l’après midi que nous pourrons y aller, cinq détenus à la fois, pas plus pendant un quart d’heure. Et puis, c’est la grande déception, le bibliothécaire n’est pas là cette après midi, il est chez le juge. Alors on attend en feuilletant des magazines qui traînent dans la cellule qu’arrive le jeudi matin. A neuf heures et quart le surveillant ouvre la porte de la cellule:

-Promenade.

On est prêt depuis un bon moment, on descend les escaliers, on va dans la cour de promenade. On ne peut pas rester devant la porte de la bibliothèque: des surveillants nous ont compté quand nous avons quitté notre étage, d’autres nous comptent quand nous passons la porte de la cour de promenade. Au bout de quelques minutes les néons de la bibliothèque s’allument, alors on se précipite vers la porte de la cour, mais le surveillant nous dit qu’il y a déjà cinq détenus à l’intérieur et qu’il faut attendre. On attend, dans le froid, mais on se dit que la récompense est à portée de quelques minutes, et attendre depuis quelques jours, on a eu le temps de s’y habituer. Et l’on est le seul à attendre, dès que la porte s’ouvrira, on pourra entrer. Et elle s’ouvre, le surveillant ouvre d’abord la porte de la cour pour laisser sortir les deux détenus, on en profite pour aller devant la porte aux livres. C’est curieux aucun des deux n’avait un livre à la main…On entre enfin, dans une vraie bibliothèque avec des rayonnages, il doit bien y avoir entre quatre et cinq mille livres, avec un peu de chance…on fait un premier tour rapide, ravi de découvrir qu’il y a des livres que l’on veut relire et d’autres que l’on avait souhaité lire mais on n’avait jamais trouvé le temps. On a le droit de choisir cinq livres, on peut en prendre un avec soi, les autres c’est le bibliothécaire qui nous les apportera Lundi dans notre cellule. Je vais en choisir un assez long pour trois jours de lecture. Bien sûr, Kafka, bien sûr le Château pour commencer et parce que c’est le plus long. On s’étonne de choisir un livre à cause de son nombre de pages, c’est bien la première fois, Kafka pardonnera. Et le bibliothécaire apportera Lundi deux pièces de Shakespeare en Anglais, Vergers de Rilke et un roman de Arto Paasilnna. En parlant avec lui on apprendra que l’on peut laisser une liste de livres et que deux dames de la bibliothèque municipale nous les apporterons, elles viennent cette après midi alors, bien sûr on laisse une liste avec bien sûr le Musset que l’on avait avec soi et qui passe ses nuits de Décembre au greffe. Les jours passent, on peut lire beaucoup, on fait des notes de lecture sur le cahier que l’on a cantiné et puis un jour on se fait un code pour classer les livres. On fait le NSPPLE ( ne supporte pas la lecture emprisonnée) et le SAPPLE (supporte à peine la lecture emprisonnée)

On fait des découvertes, on lit le Terrier de Kafka que l’on avait jamais lu, comment est ce que ça se fait? Et on s’aperçoit que Borges en a fait une transposition tout aussi fantastique dans la Bibliothèque de Babel, mais en s’en rendant compte on est troublé parce que l’on vient de lire – c’est Sciascia qui le rapporte – que Borges est un personnage créé par trois écrivains argentins et interprété toute sa vie par un acteur. C’est sans importance et d’ailleurs Sciascia, ça lui est égal et à nous aussi.

 

J’ai oublié de le dire, le Château en prison c’est Kafka et pas mal d’autres.».

à suivre

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