J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com
30 Mars 2022
III Le sermon du feu
La tente de la rivière est brisée; les dernières brindilles
Agrippent la rive humide où elles s’enfoncent. Le vent
Traverse la terre brune, sans bruit. Les nymphes sont parties.
Douce Tamise, coule doucement, jusqu’à la fin de mon chant.
Aucune bouteille vide dans l’eau, ni papiers gras,
Ou mouchoirs en papier, boîtes en carton, mégots
Ou tout autre souvenir des nuits d’été. Les nymphes sont parties.
Et leurs amis, héritiers oisifs des patrons de la Cité ;
Sont partis aussi, sans lasser d’adresse.
Au bord du Léman, je me suis assis et j’ai pleuré… (1)
Douce Tamise, coule doucement, jusqu’à la fin de mon chant.
Douce Tamise, coule doucement, je ne parle ni beaucoup ni fort.
Mais dans mon dos dans un souffle froid j’entends
Les os qui s’entrechoquent, et un gloussement d’oreille en oreille.
Un rat grattait doucement dans les herbes
Traînant son ventre sur la rive
Pendant que je pêchais dans les eaux sombres du canal
Un soir d’hiver juste derrière l’usine de gaz
Réfléchissant au naufrage de mon frère le Roi (2)
Et à la mort du roi mon père, avant.
Des corps nus et blancs sur le terrain humide
Des os moulés dans un petit grenier sec,
Que seuls les pas des rats entrechoquent, année après année.
Mais dans mon dos de temps à autre j’entends
Le bruit des moteurs et des cornes, qui amèneront
Sweeney chez Mme Porter au printemps.
Oh la lune se reflétait sur Mme Porter
Et sur sa fille
Elles se lavaient les pieds dans du soda
Et ces voix d’enfants, chantant dans la coupole!
Twit twit twit
Jug jug jug jug jug jug
Forcée si violemment.
Tereu
Cité irréelle
Dans le brouillard gris d’un midi d’hiver
M. Eugenides, le marchand de Smyrne
Mal rasé, les poches pleines de raisins
C.i.f. Londres: documents à vue,
Me pria en Français démotique
A déjeuner avec lui à l’Hôtel Cannon Street
Avant de passer un week-end au Métropole.
C’est l’heure violette, quand les yeux et les dos
Se détournent du bureau, quand la machine humaine attend
Comme une taxi vibrant en maraude,
Moi, Tirésias, aveugle certes, hésitant entre deux vies, (3)
Vieillard aux seins ridés de femme, je peux voir
Lors de l’heure violette, l’heure du soir qui lutte
Vers la maison, et ramène le marin chez lui,
La dactylo chez elle pour le thé, range la table du petit déjeuner,
Allume son fourneau pour faire cuire ses conserves.
A la fenêtre périlleusement suspendues
Ses combinaisons sèchent aux derniers rayons du soleil,
Sur le divan (son lit, la nuit)
Des bas, des chaussons, des chemisiers et des jarretelles.
Moi, Tirésias, vieillard aux mamelles ridées
Je voyais tout cela, et annonçais la suite –
Moi aussi j’attendais l’hôte attendu.
Lui, le jeune homme boutonneux, arrive,
Petit employé d’une agence immobilière, le regard arrogant,
Un d’en bas sur qui porte l’assurance
Comme un millionnaire de Bradford son chapeau de soie.
C‘est le moment propice, à ce qu’il imagine,
Le repas se termine, elle s’ennuie, elle est fatiguée,
Pour l’entreprendre de ses caresses
Qui ne sont pas repoussées, même si elles ne sont pas désirées.
Coloré du rouge de l’audace, il lance l’assaut d’un coup;
Ses mains explorent sans être repoussées;
Sa vanité ne demande pas de réponse,
Et accueille bien même l’indifférence.
(Et moi, Tirésias, j’ai souffert à l’avance tout
Ce qui s’est passé sur ce divan ou ce lit;
Moi qui étais assis au pied des remparts de Thèbes
Et qui ai marché au milieu des morts les plus vils.)
Il accorde un dernier baiser condescendant
Et s’en va tâtonnant dans l’escalier pas éclairé….
Elle se retourne et se regarde un peu dans le miroir,
A peine consciente de l’absence de son amant,
Une pensée à peine esquissée se fraie un chemin :
‘C’est fait et c’est bien que ce soit fini.’
Quand une belle femme s’abandonne à la déraison et
Fait les cent pas dans sa chambre, seule,
Elle se passe machinalement la main dans les cheveux,
Et met un disque.
‘Cette musique est venue jusqu’à moi depuis les vagues’
Et tout au long du Strand et de Queen Victoria street.
Oh Ville ville, quelquefois je peux entendre
Vers un bar de Lower Thames street,
La plainte agréable d’une mandoline
Et le fracas et les papotages à l’intérieur
Des poissonniers qui se reposent à midi : la où les murs
De Magnus Martyr resplendissent
De l’inexplicable splendeur ionique en blanc et or
La rivière transpire
De l’huile et du bitume
Les péniches dérivent
Sur cette marée montante
Des voiles rouges
Largement
Vers Leeward, un swing appuyé.
Les péniches lavent
Le bois flottant
Vers Greenwich reach
Après l’île aux chiens.
Weialala leia
Wallala leialala
Elisabeth et Leicester
Allaient en ramant
La poupe moulée
Un coquillage doré
Rouge et doré
La houle vive
Clapotait sur les deux rives.
Le vent du sud ouest
Emportait sur les rivières
Le carillon des cloches
Tours blanches
Weialala leia
Wallala leialala
‘Les trams et les arbres poussiéreux.
Highbury m’a faite. Richmond et Kew
M’ont défaite. Près de Richmond j’ai levé
Mes genoux du plancher d’un canot étroit.’
‘Mes pieds sont à Moorgate, et mon coeur
sous mes pieds. Après l’événement
Il pleura. Il promet”un nouveau départ”.
Je ne fis aucun commentaire. Pourquoi lui en vouloir ?’
‘Sur les sables de Margate
Je ne relie rien à rien.
Les ongles cassés de mains sales.
Les miens, gens modestes qui n’attendent
Plus rien.’
La la
J’arrivais alors à Carthage.
Brûlant brûlant brûlant brûlant
Oh Seigneur tu m’as arraché
Oh seigneur tu m’as arraché
Brûlant.
1 Psaume 137
2 The Tempest
3 Sophocle
à suivre...