J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com
28 Février 2020
II Regarder …
Le petit port amer de l’ île au pélican en compagnie de Georges Seféris, puis partir au bord du Bosphore d’où je vois la frontière de l’Europe, déjà en question du temps de Sophocle.
Je repars encore, tellement je veux voir, voir,
les statues de Mathias Braun dans le parc de Kuks,
La salle des Véronèse de l’ Academia avec Monsieur Cogito et Zbigniew Herbert,
les soleils noirs de la mélancolie au dessus de l’Espagne morte des mêmes balles que Pedro Rojas, sous le regard des christs lamentables de Goya,
tandis que César Vallejo est poursuivi par des Attilas barbares, hérauts de la mort.
J’ai besoin de calme, d’oubli, je pars dans les forêts de Finlande, là où Aarto Paasilinna me distille des mots aussi enivrants que sa gnôle, je rejoins très loin Marcel Thiry, au diable Vauvert, et nous pâlissons au seul nom de Vancouver.
Puis, après avoir parcouru les collines douces de solitude où habite Robert Frost,
Je vais voir le plongeur de William Carlos Williams, trahi par la parole.
Dans des vapeurs de blues ou bien…, je partage celui de Kerouac à Mexico, pendant le voyage je rencontre Fernando Sampietro qui porte Marylin nue sur ses épaules jusqu’à Camala pour l’offrir à Pedro Paramo.
Au bord du golfe, Arthur Cravan, stripteaseur des quatre saisons au Carnegie Hall, comme Li Bai, il veut essayer de capturer le reflet de la lune dans l’eau.
Et je pleure…
Et je me regarde pleurer avec Alfred de Musset devant un canal ou un Lord anglais fait la planche en éclairant les étoiles de son cigare.
Mais se lève une tempête que Giorgione a peint pour Yeats et pour un joueur qui n’ a plus les moyens d’être pauvre au casino des trépassés de Tristan Corbière.
En route pour l’Argentine , je m’arrête à Rio de Janeiro pour un match de la Selecao de 1970 en compagnie de Carlos Drummond de Andrade; puis j’arrive sur la péninsule Valdès où m’attend Eugenio de Andrade pour me montrer cette baleine qui emporte sur son flanc l’âme de Achab.
Je regarde avec Virgile et Dante et les yeux de Gustave Doré le départ de cette âme vers …ailleurs,
vers ce vide infini, que Giambattista Tiepolo et Shih Tao peignent pour moi.
Et je continue de vouloir voir, la première des femmes,
une Venus à Willendorf,
le visage de cette femme perdu pour Jaroslav Seifert dans les gouttes de la pluie sur la fenêtre,
et Bérénice - celle de Poe avec les dents de Rimbaud,
et toutes ces dents qui sont des idées,
et les yeux du Greco qui regardent danser Anna Akhmatova;
tandis que je regarde les belles endormies , je songe à Henri Jean-Marie Levet et à nos nuits avec Cléo de Mérode et Liane de Pougy.
Voir encore,
voir ces livres qui ne sont plus faits pour être lus, n’est-ce pas Signor Leopardi ?
Je vois de la mélancolie, encore, celle de cette œuvre parfaitement inutile que je suis pour Lucien, un homme que même le vin ne saurait rendre beau
dans le miroir de sa mémoire.
Tandis que, sous mes yeux, Caravage et Marlowe se battent avec les hommes de Tamerlan dans une taverne de Urga,
je vois Judas qui sort du pinceau de Leonard pour ouvrir la porte à la shoah, sous le regard de compassion des piétas que Michel-Ange et Titien n’ ont pas achevées,
infinies,
qu’ Odysseus Elytis m’a montré là où l’homme a mis des bornes aux confins
1 Caravage
Sans aucun malt, mais avec Coltrane
Say it you don’t know what love is, it’s easy to remember and I wish
I knew what’s new, all by Coltrane and quartet.
Everybody has John on his mind
Et chacune de ses mesures est un mot, le mot de la mélancolie même
Infelix, habitum temporis huius habe !
Et c’est le ton qui me plait pour le Caravage, ce soir
Parmi ces corps d’hommes, corps alanguis, corps en éveil
des corps que leurs habitants ont malmenés
mais des corps qui parlent toujours
qui vivent dans les mots.
L’enterrement de Santa Lucia
the two grave diggers they are atalking
and this bloody bitch, Salome not yet with her seven veils she talks hate.
La résurrection de Lazare tout le monde parle
Emmaüs le Christ parle il est écouté ce soir là, et pourtant
who is the third who walks always beside you ?
when I count, there are only you and I together.
Et Jérôme – qui malmène de plus en plus son corps
il écrit dans chaque cellule que lui donne Caravage.
Et maintenant there is a Bird Unable to tell words, singing his hopes
to escsape his mad sadness in his tenor.
Ecoute Max qui balaie My Melancoly Baby
pendant que je lis tous les mots qu’a peints Caravaggi
les dents de Rimbaud manquent dans ma bouche
et je ne peux plus articuler les mots.
Dans un bistrot à bagarre? dans un bistrot où l'on peut se faire agresser
là où notre corps n'est pas tranquille
en écoutant l'interprétation pas encore réalisée de Round midnight
par Coltrane et Parker accompagnés par Monk
et Max en buvant – quand même – un single malt
2 Dürer Melancholia I
Une sœur de Saturne
éclairée par un dernier soleil noir,
surgie des nuits du temps,
défaisait avec ses clefs
des nombres dont la seule magie
jonchait le sol.
Les pieds dans la terre,
le désir des humains.
Prise entre les désirs d’humanités
elle disparut
dans le retable craquelé d’un temple perdu.
Seuls les anciens amants des femmes en noir
l’aperçoivent quelquefois
parmi les âmes inassouvies
qui les accompagnent dans
les déserts de leurs éternelles traversées.
3 Hopper
c'est une femme
ou un homme
toujours seuls, dans une lieu, une ville inhabitée
ou seuls au milieu des autres –
seuls aussi
il y a toujours une fenêtre
ou une vitrine – mais pas celle d'Anvers
et elle/il n'a aucune autre place
que l'espace occupé
c'est dans des tons comme ceux des débuts du
Rock n' roll
et pourtant c'est éternellement
l'individu seul
dans un décor inattentif et indifférent.
En regardant Hopper
En nous introduisant dans cette pièce, dans ce bar,
en entrant dans ce monde, on entrera dans le bar de Barbara
dans l'île aux Mimosas et on lui dira Je t'ai trouvée
dans ce bar
Ou autrement?
4 Kitkados
Le début du chemin sur les dalles de pierre
sous le soleil qui éclabousse ici
plus encore qu’au bord du petit port
quelques grillons et les sirènes des bateaux
le chemin se perd,
du sommet d’une colline on voit là-bas un village
encore loin, monter, descendre, monter encore
et très peu d’ombre
on enjambe des murets de pierres sèches
et on arrive là où l’eau coule à côté d’une église,
une taverne,
terrasse d’arbres qui surplombe une vallée
et encore ces dalles de pierre .
Vue entre les oliviers la mer une île, d’autres îles plus loin.
Un café - pour moi metrio
de vrais sourires de gens qui nous re-connaissent
pour ce que nous sommes, que nous ne savions pas
avant ce sourire…..Et la nourriture….
du chevreau mijoté au citron, chevreau élevé ici, citron
de l’île; fromage de chèvre fort
du vin du vrai bon dont l’étiquette n’a pas besoin d’ être plus
grosse que le sac*
Quelques gâteaux au sésame et puis les figues au bord du
chemin,, celui de cette vallée qui revient à la mer, la tête ….et
l’estomac dans les étoiles.
C’est à Kitkados - chacun d’entre nous a le sien - les siens. On
y a besoin ni de musique - il y en a - ni de poètes ; tout est poésie
*Lucien de Samosate Eloge de Démosthène
à suivre