W.H. Auden Lettre à Lord Byron (suite)
D’ailleurs j’aime beaucoup la montagne également
j’aime la traverser en voiture,
j’aime les maisons qui offrent un site dominant;
j’aime marcher, mais pas trop loin.
J’aime aussi les plaines vertes avec des troupeaux,
et les arbres et les rivières et je discuterai toujours
avec ceux qui pensent que les rivières sont immorales.
Ce n’est pas que mes querelles privées donnent quitus
aux intéressantes questions qu’elles soulèvent,
un raisonnement impartial donnera leur juste statut
aux cascades et aux pâquerettes,
à cet amour excessif pour ce qui n’est pas humain,
qui est dans les cœurs entre Golders Green et Teddington;
c’est tout lié à Einstein, Jean et Eddington.*
C’est un lieu commun qui ne vaut guère
qu’un poète lui consacre un temps profond ou lapidaire,
que le soleil ne tourne pas autour de la terre,
que l’homme n’est pas le centre de l’univers;
et que travailler dans un bureau rend cela pire.
Le plus modeste acquiert avec facilité
une sensibilité d’ universelle complexité.
Car nous savons désormais ne pas être outrecuidant
nous trouvons que les étoiles sont une grande famille;
et nous envoyons nos invitations pour un thé succulent,
simple, désuet, pour quelque vaudeville
à tous ces objets naturels que nous voyons.
Nous ne pouvons inviter ni Juifs ni Rouges, c’est certain
mais les oiseaux et nébuleuses feront aussi bien.
L’esprit supérieur est trop élevé pour l’inhumain,
on pense qu’il n’ est pas sain d’embrasser;
le monde devient sûrement végétarien;
et devenant de plus en plus sensible à ce sujet,
il ne faudra plus guère attendre avant
que nous ne découvrions une Association des tantes
de tous pour la prévention de la cruauté envers les plantes.
Je redoute cela autant que le dentiste, peut être plus,
à mes yeux le sujet de l’art est la glaise humaine,
et le paysage rien d’un fond pour un buste;
je donnerais toutes les pommes de Cézanne
pour un petit Goya ou un Daumier.
Je n’accorde qu’une beauté secondaire
à une renoncule, une poire ou un ficaire.
L’art, s’il ne commence pas par là, y finit,
que l’esthétique aime cette idée ou pas,
dans une tentative pour plaire à nos amis;
et notre problème est de savoir
qui sont les amis de l’artiste moderne;
il est possible qu’un peu d’histoire
nous aide à dévoiler ce mystère.
Je ne commencerai pas à l’origine,
pas avec les graffitis des grottes;
Il n’y a que Heard qui connaisse les ultimes
découvertes des tombes Egyptiennes;
je passerai la danse de guerre des braves indiens;
puisque pour le but que je me suis fixé,
le dix huitième siècle anglais sera adapté.
À l’époque Augustane nous trouvons deux arts:
l’un rapide et gracieux, pas du tout sacré,
tributaire de sa seigneurie et de son mécenart;
l’autre pieux, avançant sobrement, posé;
s’adressant surtout aux pauvres et aux résignés.
C’est ainsi que Isaac Watts et Pope forcèrent l’entrée
des classes moyennes et de la ruralité petitement née.
Deux arts aussi différents que ceux des Juifs et des Turcs,
chacun servant des aspects de la réforme,
les divisions de Luther entre foi et travail,
le dieu de l’imagination unique,
un ami pour ceux qui doivent connaître leur place;
et le grand architecte, l’ingénieur protecteur
des puissants dans leur sphère supérieure.
Ce qu’il est important de noter toutefois est ceci:
chaque poète savait pour qui il écrivait,
parce que pareilles étaient leurs vies.
Si longtemps que l’art s’est contenté de parasiter,
c’était bien pour toutes sortes de gens;
ce qu’il doit être c’ est obéissant,
ce qu’il ne doit pas être: indépendant.
à suivre