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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Mermed (20)

Mermed  (20)

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Samedi matin, Rolles et Dupuy s’apprêtent à partir à Henoke, Danielle leur dit,

- Si les gens d’Affitaunauto reconnaissent bien la photo, vous m’appelez mais au numéro de la prison, les portables ne passent pas.

Après avoir discuté avec Marie Claude et son équipe d’informaticiens, ils repartent à la Maison d’Arrêt où ils espèrent trouver au moins une clef, aujourd’hui.

- Il y a encore combien de prisonniers à voir?

- Quatre vingt seize.

- On aura fini demain, prenez votre temps, j’ai senti hier que l’on commençait à rencontrer des détenus qui ont de vraies histoires

Ichebac rencontre à la suite deux hommes d’environ trente cinq ans qui sont en prison parce qu’ils n’ont pas payé leurs pensions alimentaires. Le premier parce qu’il ne pouvait plus, il a passé cinq mois, il sort Lundi. L’autre qui s’appelle Jean Christophe Rolland, est là pour la deuxième fois, il y a déjà passé huit mois il y a quatre ans. Dans les deux cas il a refusé de payer un arriéré de pension dérisoire parce que sa femme refuse de lui présenter ses deux enfants. Son avocat est venu lui dire qu’il risque de prendre deux ans.

- Vous devriez proposer de payer.

- Je l’ai fait, la somme est même bloquée, mais rien n’y fait.

- Faites une action pour revoir vos filles.

- Le problème c’est qu’elle travaille au palais de justice.

Un type bien, qui se bat jusqu’au bout pour avoir la possibilité d’exercer son droit de voir ses enfants et que ça entraîne en prison.

- Heureusement j’ai Pizziccatta.

- Qui?

- Françoise, ma nouvelle femme depuis que je suis sorti de mon premier séjour ici.

- Pourquoi ce surnom?

- C’est un type qui a passé une semaine avec moi qui l’a appelé comme ça parce qu’elle est originaire d’Italie et que malgré mon nom je n’aime pas la musique…

- C’n’est pas trop dur ici?

- C’est le pire endroit dans lequel on peut mettre un homme.

- Vous arrivez à vous occuper?

- Je travaille à la cuisine, je me promène et j’ai une heure tous les jours avec Pizziccatta

- Parloir?

- Non le parloir c’est deux fois par semaine

- Alors?

- Je passe au moins une heure à lire ses lettres et à lui écrire, tous les jours.

- Bon courage monsieur Rolland.

Danielle et Blanc rencontrent des représentants plus traditionnels de la population carcérale, des vieux de la vieille qui sont chez eux en prison, des multirécidivistes qui ont intégré le séjour en prison dans le rythme de leurs vies.

- Moi, je n’ai jamais travaillé, quand je suis dehors je m’éclate.

- Et puis vous replongez, ce n’est pas très malin, dit Blanc, tout ça pour une montée d’adrénaline…

 

La photo de Costani est bien arrivée au commissariat de Henoke. Il n’y a aucun doute, c’est bien l’homme du portrait robot. Ils la montrent néanmoins chez Affitaunauto

- Oui, c’est bien lui disent ils en chœur.

- Vous êtes certains?

- Il n’y a aucun doute.

- Merci.

Avant d’appeler la commissaire, ils décident de téléphoner à l’inspecteur italien

- Tu te souviens de son nom?

- Pietro Longhi

C’est toujours Dupuy qui appelle l’Italie.

- Pronto

- Signor Longhi?

La conversation une fois terminée, Dupuy résume pour Rolles.

- On a de la chance, il est aujourd’hui à Oulx, il prend à Rome un plus petit appartement que celui qu’il avait à Turin, du coup il laisse des meubles dans la maison de vacances de ses beaux-parents à Oulx où on pourrait le voir en début d’après midi.

- Où est ce?

- A une vingtaine de kilomètres du tunnel. On peut y être vers une heure, on aura le temps de manger en Italie de le voir et on sera au commissariat en fin d’après midi.

- J’appelle la commissaire.

Après quelques minutes, elle arrive à l’un des téléphones de la prison, Rolles lui explique ce qu’ils vont faire. Elle leur dit qu’elle a déjà règlé la veille tous les problèmes administratifs et que les deux polices italiennes et française peuvent officiellement collaborer dans le cadre de cette affaire.

 

A la prison les interrogatoires se poursuivent. Ils ne rencontrent aucun détenu qui puisse avoir un lien quelconque avec cette histoire, et pourtant, elle en est sûre, la réponse est là, à portée de main, si rien ne ressort avec les détenus, ils feront le même travail avec les surveillants.

Ichebac rencontre un des prisonniers les plus âgés de la prison, un col blanc qui était maire et homme d’affaire, il a pris dix huit mois pour des confusions…

- Mon seul tort c’est de m’être volé moi-même.

Cet homme est amer, il le cache sous un détachement apparent.

- Je fais dix huit mois pour neuf millions. Je n’allais pas payer la caution de deux millions qui m’était demandé pour ma libération conditionnelle, ça aurait fait plus de cent mille francs par mois…

- Et la prison, comment ça se passe?

- Terrible, on est avec de la racaille.

- Et vous?

- Nous sommes différents.

- Nous?

- Les délits financiers…

- Vous croyez?

- Vous n’allez pas aussi me dire…

- Dire quoi?

- Il y a un détenu, délits financiers aussi, qui dit que les détenus qui ont le moins d’excuses ce sont précisément les cols blancs car ni leur éducation ni leur situation sociale, professionnelle ne peuvent expliquer, justifier leurs délits. Il pense même que si nous sommes ici c’est parce que nous l’avons voulu.

- Il a peut être bien raison.

- Vous aussi…

 

Par la fenêtre du bureau du premier étage, Danielle Babel voit des détenus qui fouillent dans le peu d’herbe qu’a laissé le passage de milliers de pieds. Elle demande au surveillant,

- Que font ils? De la drogue?

- Non, ils cherchent des mulots, il y en a beaucoup

- Pourquoi faire?

- Pour en amener un dans leur cellule.

Elle poursuit ses interrogatoires, elle est avec un type de la montagne, qu’elle a dérangé

- J’étais en train de réfléchir à mes investissements financiers dans l’engeenerie génétique.

- Ah oui…

Elle regarde son dossier, ce type a tué son frère qu’il avait commencé à découper.

- Pourquoi?

- Pour le manger.

Il dit cela calmement, il n’a aucun remords. Il a déjà passé douze ans en hôpital psychiatrique, totalement schizophrène, qu’est ce qu’il fait ici?

Elle a besoin de respirer un peu, Blanc et Ichebac font une pause aussi. Ils décident d’aller boire un café en bas, au moment d’emprunter l’escalier, ils entendent des cris venant de l’étage,

- Fifi Fifi, bouffeur de sperme.

- Qu’est ce que c’est?

- Ils crient comme ça chaque fois que l’anthropophage que vous venez de voir passe dans le couloir leur explique le gardien qui les accompagne, il est seul en cellule maintenant, mais il a été quelque temps avec d’autres détenus et on a pas pu le laisser, il se masturbait dix fois par jour dans le trou qu’il avait fait dans son matelas, personne ne pouvait plus le supporter.

 

Sur le chemin du retour Danielle, malgré tout ce qu’elle a déjà vu dans sa vie, a été ébranlée par la banalité et la folie qu’elle a rencontrées toute la journée. C’est dur d’être confrontée à cette réalité. Il faudra quand même continuer demain, et puis dans tous ces renseignements que l’on apporte, il y a peut être quelque chose qui va recouper nos données. Eux au moins ils ont le moral se dit elle en arrivant dans la salle du premier au commissariat, ils sont en train de boire le champagne.

- Commissaire, c’est l’anniversaire de Bernard, prenez un verre avec nous, vous aussi Ichebac et Blanc où est il?

- Il arrive.

Ce pot avec ces jeunes gens leur fait du bien, ils plaisantent, se changent les idées, pas bien longtemps, Rolles et Dupuy arrivent. Ils retournent dans le bureau de Danielle

- Alors demande t’elle?

- Comme je vous l’ai dit ce matin, le type de la photo c’est bien celui qui a loué la camionnette, c’est Angelo Costani.

- Aucun doute?

- Absolument aucun, en plus dans le dossier ils nous ont mis un document écrit et signé de la main de Costani, et même si je ne suis pas graphologue, c’est la même signature que sur le contrat de location. Il faudra le passer au labo pour avoir la certitude absolue, bien sûr.

- Et en Italie?

- On est donc parti à Oulx, il y avait beaucoup de circulation dans la vallée, on est arrivé assez tôt, on a mangé des petits sandwichs très bons, des cramezzinis.

- Non, des tramezzinis.

- Oui c’est ça, des sandwichs avec…

- Rolles je ne veux surtout pas gâcher tes souvenirs gastronomiques, mais on s’en fout un peu, intervient Ichebac.

- Pardon, on a donc retrouvé Longhi et on lui a raconté toute l’histoire.

Dupuy prend le relais.

- Les services de Longhi ont déjà interpellé Costani plusieurs fois, mais lui ne l’a jamais rencontré.

- Il est de Turin, Costani?

- Non, mais Longhi travaille dans la brigade spécialisée pour tout ce qui est vol, fabrication de faux d’œuvres d’art et c’est la partie de Costani qui a été interpellé une dizaine de fois mais n’a été condamné qu’une fois, pour des problèmes fiscaux, il a pris sept mois et c’est tout.

- Et les autres interpellations?

- Longhi est convaincu qu’il a commis ou organisé de nombreux vols de tableaux et peut être même qu’il a déjà assassiné. Il pense que Costani a volé un tableau de Bellini il y a cinq ans à Venise et que c’est lui qui a organisé le cambriolage du château du Comte von Heimat au cours duquel le comte a été tué, mais ils n’ont jamais rien pu prouver ni bien sûr lui faire avouer quoi que ce soit. Ils ont été obligés de le relâcher chaque fois.

- C’est qui ce Costani?

- Il a fait des études de droit et d’histoire de l’art, très bon milieu.

- Quel âge?

- Quarante deux ans.

- Ils savent où il habite?

- Oui à Stresa.

- C’est au bord du lac Majeur?

- Oui

- L’inspecteur italien qu’est ce qu’il en dit de notre histoire?

- Il pense que c’est le genre de coup que pourrait monter Costani et il est très content que l’on puisse collaborer si ça permet de l’arrêter.

- Bien, il faudrait quand même montrer la photo au technicien EDF.

- Je vais demander son numéro de téléphone à sa fille et on le verra Lundi.

- Dupuy, restez un moment, on va se mettre d’accord avec le patron de Longhi, j’ai ses téléphones. Les autres rentrez et à demain.

Dupuy réussit à joindre le commissaire italien, il traduit la conversation. Les deux commissaires se mettent d’accord, ils ont l’aval de leurs ministères, les deux inspecteurs vont travailler en Italie avec Longhi, s’ils réussissent à interpeller Costani, il pourra être transféré en France immédiatement.

Comme chaque soir, et bien que l’on soit Samedi soir elle appelle son père et le directeur.

- Voilà où nous en sommes.

- C’est une piste très sérieuse, et vos interrogatoires à la prison?

- Pour le moment, appartement rien, mais on a pas terminé et on est tous sûrs qu’il y a quelque chose à trouver

- L’intuition féminine…

- Ou l’intuition du flic.

- Bon courage commissaire.

Du courage, elle en a, mais est elle dans la bonne direction, elle a un moral en baisse ce soir, ces hommes dans la prison, des hommes..?Des ombres plutôt, des négatifs d’homme qui se révèlent mieux qu’ailleurs à eux mêmes, elle l’espère, aux autres certainement, malgré leurs mensonges. Elle se met au lit et avant de s’endormir très tôt, elle lit un autre texte de ce détenu – au fait lequel est ce? Si ça se trouve elle l’a vu… C’est un texte sur le Dimanche en prison.

 

«Ici, tous les jours ont une couleur, comme dans l’autre monde, il y a les trois jours de la semaine où l’on a la douche, il y a les deux jours d’ouverture de la bibliothèque pendant les heures de promenade et puis les trois parloirs par semaine. On peut aussi être appelé à l’infirmerie ou aller chez le coiffeur. Ce qui peut, avec un peu de chance, faire une journée très occupée: un mardi, on peut avoir successivement douche, infirmerie, bibliothèque, coiffeur et parloir. Un jour comme ça, il faudrait presque un agenda, tant on a perdu l’habitude, en plus il peut y avoir un bon film à la télévision, et on peut recevoir une lettre. Ce jour là, comme tous les autres on remplit son bon de cantine et reçu – si le pécule est suffisant – sa commande de la semaine précédente, le Lundi, les produits de toilettes et de papeterie, du Mardi au jeudi, tous les produits alimentaires, le Vendredi, le tabac et les hebdos, le Samedi, le pain frais et le Dimanche les gâteaux. Oui, même ici le Dimanche c’est les gâteaux. Un vrai Dimanche de rentier, il n’y a rien à faire, même pas de douche, alors on se lève tard, on fait la grasse matinée, histoire de ne pas perdre ses habitudes, et pourtant on n’est pas sorti le samedi soir…et puis c’est vrai que le Dimanche matin les couloirs de la prison sont aussi déserts et tristes que les rues des beaux quartiers le Dimanche après midi. Alors on a beau être un asocial, on retrouve les rythmes de tout le monde, aucun bruit jusqu’au moment où les gamelleurs arrivent vers onze heures et demi, comme tous les jours, et l’on a espéré depuis le réveil que ce sera toujours les frites pour le repas du dimanche, pleines de souvenirs, du souvenir de l’odeur de celles que servait ce restaurant à l’angle de la grande avenue devant lequel, enfant, nous passions en revenant de la messe, et dans lequel, nos parents, malgré nos demandes ne nous ont jamais emmené, une odeur que l’on a gardé pour toujours et que l’on a espéré retrouver dans chaque frite que l’on a mangé depuis, ce qui n’est encore jamais arrivé. Elles devaient être tellement bonnes ces frites. …frustration…serait ce celle là qui nous a amené ici? peut être pas…

 

J’oubliais de vous le dire, la messe dominicale ici c’est le Samedi matin.»

 

à suivre

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