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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Mermed (21)

Mermed  (21)

 

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Un temps épouvantable, Dimanche matin, une pluie froide qui va se transformer en neige un peu plus tard, un temps qui permet d’oublier que l’on travaille. La prison c’est moins triste quand il fait un temps pareil. Aujourd’hui ils finissent le premier étage, ils en ont déjà fait la moitié, ça ira assez vite.

Mermed continue son voyage. Au mois de Septembre il avait bien senti que Gregor ne lui avait pas tout dit. Il avait raison, et Gregor qui lui avait caché quelques informations- uniquement pour ne pas risquer de le blesser – avait redoublé d’ardeur. Il s’était consacré totalement à cette enquête tant il était convaincu que Dore, Béa, Marie, Mermed et lui, ils étaient tous les pions d’une partie dont ils ne connaissaient pas les joueurs. Il avait connu une fille qui s’appelait Marie, il l’avait aimé, est ce qu’il avait aimé une manipulatrice ou une femme manipulée, une femme qui avait été utilisée? Il fallait savoir, pour savoir s’il devait effacer un souvenir ou continuer à aimer ce souvenir. C’était peut être une victime, Marie..

Il avait rappelé Madame Dore quand il était rentré, elle avait retrouvé les noms des gens qui faisaient le même métier que son mari, elle les lui avait envoyé par courrier le matin même.

- Il n’y avait pas de notes sur certains?

- Non, seulement les adresses. Vous savez depuis ses années de prison, il était très discret sur les gens, il m’avait expliqué qu’en prison le moindre mot dit à propos de quelqu’un ou à quelqu’un pouvait être mal compris, grossi jusqu’à la démesure et avoir des conséquences dramatiques. Il n’aurait jamais rien dit et encore moins écrit un commentaire sur qui que ce soit.

- Merci beaucoup, si vous êtes toujours d’accord, je reviendrai certainement vous voir.

- Ce sera avec plaisir Monsieur Samsa.

Il avait consacré quelques jours à l’article du mois d’Octobre, celui sur ce banquier suisse qui dans les quinze années qui avait précédé sa retraite avait détourné environ trente milliard de francs suisses, placés, partout dans le monde, sur les comptes de six mille sociétés qu’il avait créé les protégeant par de multiples écrans. Lorsqu’il avait été arrêté quelques mois avant sa retraite il était le seul à savoir où était l’argent. La découverte du détournement, son ampleur avaient ébranlé quelques jours l’ensemble des banques suisses qui n’avaient pas tardé à réagir en décidant d’aider leur consœur pour ne pas prendre le risque de ternir leur image. L’opération avait été menée rapidement et de manière efficace, aucun client n’avait quitté le paradis, qui est un paradis aussi pour les taulards, en particulier pour le banquier qui y avait passé deux ans années au cours des quelles il avait négocié l’abandon des poursuites contre la restitution d’une partie des sommes. C’était un homme sympathique, cultivé qui vivait désormais en Italie, près de Vérone à l’abri des secousses budgétaires qui frappent quelque fois les ménages moins prévoyants.

L’article du Mois de Novembre était bien avancé aussi, il devait voir encore une seule personne avant de le boucler. Il avait donc pas mal de temps pour l’affaire Mermed/Dore.

Il s’était rendu à Paris où il avait dîné avec Axel dans un restaurant dont il avait oublié le nom mais qui était rue Servandoni, une rue qu’il connaissait grâce à Paul Morand. Axel avait réussi à retrouver l’inspecteur qui avait arrêté Dore une vingtaine d’années plus tôt. Il était à la retraite, et très content de pouvoir en sortir un peu, surtout avec des journalistes. Il se souvenait très bien de Dore.

- C’est l’homme le plus surprenant que j’ai arrêté dans ma carrière. Un drôle de numéro. Il organisait des cambriolages dans des banques, à l’époque les systèmes de sécurité étaient moins sophistiqués, il est tombé quand il a braqué la caisse noire du gouvernement, le casse a bien marché mais il a été balancé. L’affaire a été plus ou moins étouffée, ses complices ont fait un marché, ils l’ont chargé d’autres affaires en échange de l’impunité pour eux, et il a pris dix ans.

- Oui, il est resté sept ans. Mais pourquoi dites vous qu’il était intéressant?

- Il consacrait tout son argent à l’achat de livres de collection et de tableaux.

- Vous ne les avez pas saisis?

- Non, il n’y avait pas de raison.

- Ils étaient où?

- Chez son demi-frère – que l’on a toujours soupçonné de travailler avec lui mais contre qui on n’a jamais rien pu retenir.

- Et après sa condamnation?

- J’ai été le voir tant qu’il était à la santé, nous avions sympathisé. Il m’a dit qu’il voulait ouvrir un commerce, une librairie spécialisée dans les livres anciens ce qu’il a fait à Dijon où son demi-frère lui a trouvé une librairie dont les propriétaires prenaient leur retraite.

- Vous avez continué à le surveiller?

- Oui mais aucun problème, il était rangé, il venait nous voir de temps à autre quand il passait à Paris notre commissaire avait fait des études classiques et Dore était la seule personne avec laquelle il pouvait parler Grec ancien. Je vous dis un drôle de type.

Le vieil inspecteur avait ensuite apprécié avec eux le repas et le Saint Pourçain.

Gregor avait demandé ce qu’était devenu le demi-frère de Dore.

- Je ne sais pas où il est maintenant, mais je sais qu’à une époque il avait une petite maison au fond du jardin de la maison où Dore habitait avec sa femme.

Les deux jours suivants, Gregor avait des rendez-vous avec les contacts de Dore à Paris. Il avait rencontré des gens qui, tous avaient gardé un très bon souvenir de leur collaboration avec lui.

- Ill venait au moins deux fois par mois. C’était quelqu’un qui avait un œil exceptionnel, je me souviens qu’un jour, il a acheté à Drouot un tableau qui n’avait accroché l’attention de personne et qui était un Vivarini. Il l’avait repéré lors de l’exposition, il l’a payé une bouchée de pain, cinq ou six mille fois moins que sa valeur réelle. Et ça lui est arrivé plus d’une fois, tant et si bien que par la suite, dès qu’il venait à l’exposition d’avant la vente, tous les professionnels le suivaient et essayaient de repérer les pièces aux quelles il s’intéressait.

- Ça devait le gêner dans son travail?

- Au début oui, mais il s’en est aperçu et il a décidé de leur faire des farces.

- Des farces?

- Oui, il s’arrêtait devant des œuvres sans grande valeur artistique et commençait les enchères et puis petit à petit il les laissait se battre entre eux jusqu’à des niveaux incroyables – certains ont payé- uniquement parce qu’ils avaient vu Dore s’y intéresser – des toiles dix ou vingt fois plus que leur valeur réelle.

- Ils ont du s’en rendre compte?

- Oui, mais pas aussi vite qu’on pourrait le croire, parce que lui faisait semblant de participer aux enchères mais il s’arrêtait toujours assez tôt et il se rabattait alors sur d’autres pièces que personne ne l’avait vu regarder lors de l’exposition. Plus tard il faisait enchérir sa femme – tant que personne ne savait qui elle était- et puis d’autres personnes qu’il mandatait. Mais il avait avant tout une connaissance exceptionnelle de la peinture de la renaissance et un œil, comme je vous l’ai déjà dit, exceptionnel.

- Ça a du lui créer des inimitiés?

- Personne ne l’a jamais dit. Ceux qui s’étaient fait avoir ne voulaient pas le crier sur les toits, au contraire ils racontaient partout qu’ils avaient trouvé le chef d’œuvre inconnu de Patinir ou de Caravage. Mais il y en a qui ont du lui en vouloir beaucoup et comme en plus il ne faisait pas ce métier uniquement pour l’argent…

- Oui sa femme m’a dit qu’il partageait le bénéfice avec les propriétaires.

- Quand il achetait directement à des particuliers ou aux enchères lors de la dispersion d’héritages ou de biens de famille, il venait revoir le propriétaire d’origine et partageait le bénéfice.

- C’est rare, j’imagine?

- C’est à ma connaissance la seule personne qui ait jamais fait cela.

- Pourquoi, à votre avis?

Gregor n’avait pas posé la question à Madame Dore.

- On était devenu ami, j’étais d’ailleurs au procès de son meurtrier parce que j’avais de l’estime et de l’affection pour lui, et un soir, nous dînions tous les deux chez moi – j’ai toujours vécu seul- je lui ai posé la question.

- Pourquoi partages tu le bénéfice avec les anciens propriétaires, rien ne t’y oblige?

- Depuis mes années de prison, j’ai beaucoup changé, j’avais déjà changé en prison où je suis devenu clairvoyant, méfiant mais aussi plus confiant, encore un peu plus dur mais aussi plus solidaire. Et dans mon travail je me dis deux choses, la première c’est qu’un jour dans ces familles, dans la vie de ces gens qui ont ces pièces qui m’intéressent, il y a eu quelqu’un, peut être la personne qui est en face de moi qui a eu un coup de cœur pour un tableau, un livre, un objet et que le cours des jours a fait que ces gens doivent s’en séparer et j’aime tellement certaines de ces toiles, certains de ces livres que mon rapport avec eux serait altéré pour un peu – souvent beaucoup – d’argent. La deuxième raison, elle est très bassement pratique, ça se sait que je travaille de cette façon, et tu ne peux pas savoir le nombre de clients que ça m’a permis de rencontrer et encore plus important le nombre de trésors auxquels j’ai pu avoir accès.

- Il a bien dû se tromper quelque fois?

- Oui, il m’avait raconté quelques unes de ses erreurs, dont certaines lui ont coûté très cher- ça le faisait beaucoup rire.

 

Toutes les personnes que Gregor avait rencontrées lui avaient tenu le même type de propos, certains ne pouvaient pas toujours cacher leur jalousie mais il n’y avait personne qui lui en voulait sérieusement assez sérieusement pour le faire assassiner.

Gregor s’était ensuite rendu à Londres, à Bruxelles et à Lyon et chaque fois, les marchands, les antiquaires ou les particuliers lui avaient répété ce qu’il avait déjà entendu- aucune note discordante.

Chaque fois il essayait de se renseigner sur les personnes qui travaillaient avec lui, et chaque fois on parlait de Madame Dore et de mandataires qui achetaient pour son compte. Arrivé à Lyon, il avait fait le tour de la liste que lui avait remis Madame Dore et comme à chacun de ses interlocuteurs il demandait s’il connaissait les autres contacts de Dore, il était sûr de n’avoir oublié personne. Un soir, dans une arrière boutique de la rue Auguste Comte, une marchande âgée lui dit que Dore travaillait aussi avec des italiens.

- Vous les avez rencontrés?

- Non personne ne m’en avait parlé.

- Ils viennent surtout à Lyon

Elle les connaissait, c’était tous des marchands réputés du Nord de l’Italie, elle lui avait donné leurs noms.

à suivre

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