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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Un inédit...

Un inédit...

Je demande à Marcel Proust de pardonner la médiocrité des mots de ce pastiche.

Madame,
Votre lettre m'a donné tellement envie de vous voir, et puis au moment même où je l'ai reçue, j'ai réalisé que vous étiez partie, car c'est là la nature même d'un échange épistolaire, un état de joyeuse tristesse dans lequel les deux parties peuvent converser à distance sans jamais goûter au plaisir de se rencontrer, mais qui convient peut-être mieux à ceux dont le tempérament est pétri d'un désir de recréer par la mémoire, même si on ne peut pas le dire avec certitude, puisque la mémoire informe notre compréhension de nous-mêmes et pourtant l'obscurcit d'une manière ou d'une autre, cachant notre latence, notre identité même par notre incapacité à faire la distinction entre le trivial et le conséquent, créant un flux de conscience sans fin qui me rappelle, un peu comme le fragment du quatuor de César Franck que j'ai entendu fugitivement alors que j'étais malade au lit, qu'à travers les fissures de la mémoire vient la compréhension.
Je vous remercie de tout cœur pour la profonde considération que vous m'avez témoignée pour limiter le bruit que font vos ouvriers, mais je vous engage vivement à les encourager à faire le plus de bruit possible entre 15h et 17h mardi prochain, car à ce moment-là j'irai chez le médecin, pourvu que je ne sois pas trop malade pour quitter la maison, auquel cas je devrai vous demander un silence absolu - je ne pourrai pas travailler s'il y a le moindre mouvement au-dessus de ma tête - car des pas me rappellent l'angoisse enfantine d'entendre maman franchir la porte de ma chambre sans savoir si elle entrerait pour m'embrasser.


Je crains, Madame, que votre lettre ait été si intéressante et réfléchie qu'elle m'ait un instant distrait de la gravité de mes nombreuses maladies, un état d'oubli qui est tout à fait en contradiction avec mon souvenir des choses passées, bien que, heureusement, en quelques minutes , peut-être même quelques instants, ma toux soit revenue et que j'aie pu à nouveau me concentrer sur les questions importantes en cours, mais en cette période d'altérité, je me souviens avoir été tenté de monter à l'étage pour vous remercier en personne, mais j'ai ensuite pensé à mieux faire de peur que le le bruit de mes propres pas provoque une autre maladie presque mortelle.
Je dois également implorer votre aide pour insister sur le silence absolu tout au long de la matinée de mardi, car le lundi qui le précède, Le Figaro publie plusieurs de mes articles, je devrai donc quitter la maison pour lutter à la fois avec le brouillard et le grand public, trouver le chemin du marchand de journaux du boulevard Haussmann pour en acheter un exemplaire, le résultat étant que je suis sûr d'être malade au lit le lendemain.
Madame, vos rapports sur une guerre qui se déroule dans le nord de la France sont profondément troublants, et je ne peux que prier pour que les combats ne se rapprochent pas trop de Paris car le bruit m'empêcherait à coup sûr de travailler sur le quatrième volume de mon ouvrage, sans quoi les trois premiers ne peuvent être bien appréciés ni même compris, bien que je suppose que ce qui sera sera, comme disait la duchesse de Guermantes en se promenant parmi les pervenches et les myosotis, et si c'est mon destin être incompris et extrêmement malade du moins je ne suis pas tombé d'un avion comme ma secrétaire, ce qui m'a causé l'inconvénient et l'effort d'avoir à écrire cette lettre en personne.
Pardonnez-moi, Madame, de ne pas avoir répondu plus rapidement à votre dernière lettre, car je suis certain que vous avez dû être désolée de ne pas connaître mes dernières nouvelles, mais la vérité est que j'étais beaucoup trop faible pour ouvrir l'enveloppe et j'espère - si ce n'est pas trop indiscret de ma part - pouvoir vous dire que je n'ai pas été du tout bien ces dernières semaines, et je dois vous demander le silence ce samedi prochain, inconvénient pour lequel j'ai voulu vous envoyer un bouquet de lys ( lointain souvenir d'un fleuriste claquant la porte d'entrée derrière lui à Combray qui m'a fait sortir d'une fièvre dont je ne suis pas sûr de me remettre un jour complètement), mais ceux d'entre nous qui vivent avant tout dans le monde du souvenir sont liés par ses susceptibilités, et Je me surprends une fois de plus à oublier si je vous ai déjà dit à quel point j'étais malade et que j'implore votre indulgence pour ne pas faire autant de bruit.


 

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