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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Vie et mort en quatre rimes

Amos Oz  1939 - 2018

Amos Oz 1939 - 2018

Le détail peut-il devenir le protagoniste principal d’un roman ? Est-il possible de capturer, de manière désinvolte et presque apathique, un détail humain ou paysager et de le transformer lentement en déclencheur d'une explosion imaginative ? L’absence d’intrigue réelle peut-elle être compensée par un enchevêtrement suggestif et infini d’hypothèses ? Amos Oz répond à ces questions dans son roman Vie et mort en quatre rimes.

Pourquoi écrivez-vous ? L'auteur le demande dès la première ligne, comme s'il voulait se le demander à lui-même et aux lecteurs, en utilisant la similitude sonore existant entre les deux verbes : pourquoi vis-tu, pourquoi vis-tu ?

Les questions qui suivront ne seront pas de simples curiosités esthétiques de salon littéraire, mais de véritables coupes anatomiques capables de révéler les intentions les plus intimes de ce personnage qui sera présenté de manière obsessionnelle, tout au long du flux narratif, comme l'écrivain. Amos Oz, en effet, parle de lui-même en utilisant la troisième personne, Il, l'écrivain, comme s'il voulait réaliser pleinement un nécessaire processus d'aliénation grâce auquel il est capable de pénétrer dans la vie des autres et d'évaluer la sienne. S'observer de l'extérieur pour démystifier l'image que chacun a de soi et retrouver cette ironie essentielle, déconstructrice et jamais irrespectueuse capable de nous faire glisser dans la vie des autres.

La ligne à peine aperçue des sous-vêtements d'une serveuse, une personne touchée dans la journée, un visage photographié par hasard dans le public, un ricanement, une grosse cuisse, une veine gonflée, un visage grêlé, un mot flou et d'innombrables autres éléments deviennent utilisables. des prétextes pour jouer et décrocher le billet d'entrée au Festival des Hypothèses. Qui est? Qu'est ce qu'il va faire? Où vit-il? Qu'en penses-tu? Par quoi est-il opprimé ? Exercices d’imagination pour les écrivains qui n'aiment pas les légendes pratiques fournies par d'autres.

L'auteur ne nous laisse pas en dehors de ce jeu merveilleux et fascinant mais nous invite avec insistance à y participer en parsemant tout le roman de grappes de questions, nous permettant ainsi d'être témoins directement des processus mentaux de l'écrivain. Donner au lecteur la possibilité de choisir avec lui et d'ajouter d'autres questions : les siennes.

L'empathie imaginative de l'écrivain ne connaît pas de frontières de caractère ni même de différence de sexe : il devient une femme, un vieil homme, un jeune homme immature, stupide, trompé, intelligent, un tyran, un infirmier, un insecte... Il devient sueur, pisse, l'humidité, la cigarette, l'obscurité, le présent, le passé… Il trace des angoisses, rationalise l'inexistant et rumine pour les autres des syllogismes jamais vraiment pensés ;il envahit l’intimité, les territoires et les temps sans invitation.Il décrit les jalousies et les questions d'un chat, la vie et les bruits dans des appartements jamais visités et, il nous fait même participer aux pensées et aux décisions les plus sérieuses de Dieu.

Fragments de vie juxtaposés ou superposés : noms, dates, lieux deviennent des détails négligeables, parfois tirés du passé et parfois non, et si l'auteur décide de les utiliser c'est uniquement pour éviter de créer une confusion chez le lecteur et pour officialiser ses propres fantasmes.

Nous, lecteurs, «solitaires qui nous consumons entre les pages du livre...», mais lecteurs de Amos Oz en français, nous ajoutons un autre plaisir à le lire, celui de remarqiuables traductions, ici Sylvie Cohen.

 
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