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Effleurements livresques, épanchements maltés

J'ai écrit et j'écris les textes de ce blog; beaucoup sont régulièrement publiés en revues; j'essaie de citer mes sources, quand je le peux; ce sont des poèmes ou des textes autour des gens que j'aime, la Bible, Shakespeare, le rugby, les single malts, Eschyle ou Sophocle, la peinture, Charlie Parker ou Sibelius, la définition de l'infini de David Hilbert, les marches ici et ailleurs...Et toujours cette phrase de Halldor Laxness: 'leur injustice est terrible, leur justice, pire encore.' oliphernes@gmail.com

Mermed (17)

 

4

 

Le vendredi commence de la même manière que la veille, les informaticiens saisissent toujours avec enthousiasme. Elle a l’impression de voir un amphi…

A la prison, ils commencent à interroger des détenus plus âgés, plus expérimentés.

Blanc rencontre un type qui est là depuis deux ans et qui a encore un an à faire. Il a été condamné pour des délits financiers et il a changé son approche de la vie en prison, seul dans sa cellule- il est l’un des deux détenus à avoir refusé la télévision- à laquelle moyennant vingt euros par mois tous ont droit, il est revenu à la religion ce qui est assez fréquent en prison. Verlaine a entamé sa conversion à la prison de Mons où comme à celle des Petits Carmes,

« Le ciel est par dessus le toit

Si bleu, si calme!»

Ce type veut devenir diacre. Cette vocation semble sincère mais superficielle et fragile. Blanc a bien peur que ce détenu – plus très jeune – ne se déconvertisse en sortant, comme Verlaine qui abandonna vite l’ivresse du souffle de Dieu pour celle de l’absinthe.

Cet homme est quand même intéressant, mais il n’y a pas de lien entre lui et le corps de la femme, il n’a même pas compris ce que lui voulait Blanc.

Le commissaire Babel a rencontré un détenu originaire du midi. C’est autre chose. Il est là pour cinq ans, mais le procureur a fait appel, il est tombé pour trafic de stup. C’est sa troisième condamnation, fiché au grand banditisme, il a déjà fait des années de prison. Il a les attitudes bonhommes et joviales d’un patron de bistrot marseillais, mais son regard est dur, c’est un dur. C’est lui qui organise la vie des détenus de son étage, un juge de paix. Il a découvert la peinture en prison et il semble être doué. Lui, il a compris pourquoi on veut le voir, mais il n’y a pas de lien entre ce corps et lui. Même s’il n’a pas eu de courrier depuis quelques jours ni visites comme tous les autres, il sait.'On ne règle pas nos affaires comme ça chez nous'.

Il faudra peut être le revoir quand même celui là, pense t’elle.

Ils rentrent ensemble au commissariat, ils se rendent compte qu’ils ont tous rencontré au moins un détenu qui écrit, ils écrivent leurs pensées, leur vie, ils pleurent le mal qu’ils ont fait, celui qu’ils se sont fait, ils se justifient, ironisent sur l’injustice de la justice, se plaignent de la vie carcérale, rien que de déjà entendu partout. Ni Genet, ni Villon ne sont ici.

- Au moins ils s’occupent. J’ai vu un homme qui est au fond du gouffre, à quelques mois de la retraite il a été pris, il volait ses clients depuis des années et il est là, il n’a pas arrêté de me répéter «j’ai tout perdu»,« c’est de la faute de ce pédé» il rejette ses délits sur le fils de son amie. Il dit qu’il a commencé à dérailler quand il a découvert l’homosexualité du garçon. En fait, il voulait même les rembourser ses clients, d’ailleurs le jour où il a été convoqué à la direction de sa banque, à Paris, il a tout de suite remis tout l’argent liquide qu’il avait sur lui, et maintenant il n’a plus rien… S’il s’occupait…C’est dur d’écrire pour des gens qui ne l’ont jamais fait, surtout en prison avec ce bruit, vous avez remarqué, il y a toujours du bruit…

 

Peu après dix neuf heures, ils arrivent au commissariat où Rolles et Dupuy les attendent, ils ont passé la journée à faire des recherches à partir du portrait.

- On a eu un. fax d’Adriana.

- Adriana?

- La fille de la questure de Turin, elle nous a dit qu’ils avaient fait des recherches à partir du portrait robot, il y quelqu’un qui lui ressemble beaucoup dans leurs fichiers, un spécialiste des cambriolages, vols d’antiquités et de tableaux qui a fait un seul séjour en prison et bénéficié de nombreux non-lieux. Elle ne sait tien de plus sur lui, sauf son nom: Angelo Costani. Elle nous fait passer une photo par courrier spécial, nous la récupérons demain à Henoke et nous pouvons la montrer tout de suite aux gens d’Affitaunauto.

- Ils travaillent demain?

- Oui, on les a appelé pour être sûrs, on sera chez eux vers dix heures.

- L’inspectrice de Turin ne le connaît pas ce Costani?

- Non. L’inspecteur qui le suit depuis plusieures années vient d’être muté à Rome, une promotion, il fait partie de la brigade qui s’occupe des œuvres d’art. Il est en plein déménagement, il était à Turin jusqu’à maintenant, elle essaie de la joindre et elle doit nous rappeler.

- Enfin du concret. Dés qu’il vous appelle vous me le dites. Et les dents, on a du neuf?

- Pas encore, mais on devrait en avoir Lundi.

- Et nos informaticiens?

- Ils terminent demain, et ils commenceront à saisir les données que vous rapportez de la prison.

- Je pense qu’on finira dimanche là bas.

 

La commissaire fait part à tout le monde des avancées. Elle en profite pour aller faire le point pour les journalistes à qui elle ne parle ni de Costani ni du portrait robot.

Ce soir Ichebac et sa femme l’ont invitée à dîner. Elle passe quelques coups de téléphone avant de les rejoindre, le directeur et son père.

- Tu as une bonne piste…

- Peut être…

- C’est concret. Continue et puis ton idée d’interroger tous les détenus excellente, le directeur m’a appelé, ils trouvent ta méthode de travail très intelligente.

- Je suis ta fille, après tout.

- Je ne suis pas sûr que j’aurais pensé comme toi.

- Tu parles…

 

 

Pendant la journée, les détenus ont parlé des interrogatoires, ils ne comprennent pas bien ce que veulent les flics, ceux qui ont compris, comme le Marseillais, se taisent, l’habitude…

Les autres restent à la surface des choses, à ce qui modifie la routine du quotidien. Peu importe pourquoi ils viennent les voir, ce qui est important c’est ces nouvelles têtes, ces nouveaux sujets de conversation.

- Ils sont trois.

- Je n’en ai vu que deux.

- Non, non trois deux mecs et une gonzesse.

- Elle est comment?

- Choucarde.

- Ouais, putain de canon, j’avais jamais vu un commissaire comme elle.

- Qu’est ce qu’ils veulent?

- J’en sais rien, ils nous demandent qui on connaît.

- Ça doit être pour le corps qu’ils ont trouvé.

- Sûrement.

 

 

Mermed entend toutes ces conversations, mais il est toujours dans le passé, un passé de plus en plus proche. En septembre, il y a quatre mois, Gregor était allé voir Madame Dore, il avait attendu la deuxième semaine de septembre, il voulait que le premier article de la série ait été publié pour que sa visite ait vraiment le caractère professionnel qu’il avait mis en avant. L’article avait été très remarqué, partout en Europe les revues de presse en avaient parlé, un grand hebdo français avait annoncé qu’il allait publier ces articles. Ce premier article sur Wotan, il y était entré par les détails insignifiants qui faisaient ressortir la monstruosité des faits, à la façon de ce qu’avait fait Vialatte bien des années auparavant. Il avait traité la conversion du nazi avec un peu de scepticisme tout en reconnaissant la grande valeur de ses travaux. Il l’avait fait parvenir à Madame Dore dès la parution pour qu’elle se rende compte de la façon dont il voulait traiter les différents sujets.

Il était arrivé chez Madame Dore vers deux heures comme prévu. C’était une femme qui devait avoir un peu moins de cinquante ans.

- J’ai lu votre article, Monsieur Samsa, passionnant, vous avez une façon très subtile de présenter les choses, et vous écrivez remarquablement bien, mais cela je le savais déjà, j’avais lu votre livre sur le Rwanda… Vous faites toute une série?

- Oui, Mermed sera l’objet du dernier article.

- Ce garçon qui a tué mon mari, on n’a jamais su pourquoi…

- C’est ce que j’aimerais savoir.

- Je vais vous aider autant que je le peux.

Gregor s’était mis d’accord avec Mermed, il ne dirait pas à Madame Dore que les deux filles avaient donné l’adresse, tout au moins tant qu’il n’aurait rien trouvé de nouveau et puis s’il était sûr que cela ne lui ferait aucun mal. Pas la peine d’ajouter de la douleur…

Ils avaient parlé tout l’après midi, elle lui avait raconté qu’elle était enseignante, professeur d’histoire de l’art à l’université de Dijon. Elle avait rencontré Dore en prison, elle était visiteuse de prison. C’est son premier mari qui l’avait entraînée dans cette activité. Après son divorce elle avait continué, c’est alors qu’elle avait rencontré Dore une douzaine d’années plus tôt. Oui, c’est cela, elle avait trente cinq ans à l’époque. Il avait six ans de plus qu’elle et ils parlaient beaucoup ensemble. C’était la première fois qu’elle rencontrait, en prison, un homme connaissant le latin, le Grec et lisant Platon dans le texte et qui en même temps avait commis des cambriolages très audacieux et rémunérateurs. Il était incarcéré mais semblait serein, petit à petit elle avait senti sa solidité mentale, ce caractère fort qui ressemblait à son aspect physique, aux traits de son visage. Ils avaient, au bout de quelques mois, noué une relation très forte, elle le voyait une heure par semaine, le samedi matin, puis ils s’étaient mis à s’écrire. Longtemps elle avait hésité, elle avait peur de s‘investir dans une relation avec un homme dont elle ne connaissait que l’apparence, l’intelligence et les mots… Elle avait peur, elle connaissait l’histoire qui l’avait mené là pour sept ans. Elle savait, qu’au moins aux yeux de la justice il restait des ombres dans cette vie même s’il pouvait trouver la meilleure lumière pour éclairer les petits évènements qui rendent la vie supportable en prison. Elle avait continué à lui rendre visite, à lui écrire, petit à petit elle avait pris conscience qu’elle commençait à attendre les mardis et les vendredis, les jours où arrivaient les lettres qu’elle recevait de lui … Et il écrivait bien, parfaitement en accord avec ses paroles. Elle le trouvait vrai, elle s’était progressivement sentie impliquée dans la construction de leur vie d’après, dès qu’il serait sorti. Il voulait ouvrir une librairie spécialisée en ouvrages anciens, ça avait toujours été sa passion, il avait par le passé acquis et conservé des milliers de livres qui constitueraient le stock de départ. Il était enfin sorti de prison. Pendant la première année, il s’était consacré au magasin, ils avaient trouvé une maison, celle qu’elle occupait encore, puis quand tout s’était stabilisé, ils s’étaient mariés. Pendant les huit années où ils vécurent ensemble, il était resté le même homme que celui qu’elle visitait en prison, huit années heureuses. Il voyageait pour acheter et vendre. Quand c’était possible, elle allait avec lui, elle avait gardé son poste. Leur histoire avait été faite d’une immense affection, de beaucoup d’affinités, d’attentions, certainement ce qui ressemblait le plus à l’amour. La librairie s’était développée si bien que lorsque le commerce voisin avait fermé ces portes, il l’avait acheté pour y exercer sa deuxième passion, les tableaux de la renaissance italienne.

- Et, il n’avait pas d’autres activités?

- Non, il était très pris par tout cela.

- Et sa vie personnelle…

- Vous voulez savoir s’il y avait une autre femme?

- Par exemple.

- Je suis certaine que non. Lorsqu’il s’absentait, je partais avec lui la plupart du temps. Les rares fois où il partait seul, ça n’était jamais plus d’une journée.

- Vous disiez qu’il avait bien réussi dans les livres d’art et les tableaux?

- Très bien. Il avait déjà quelques tableaux puis il a fait d’autres achats. Il savait remonter l’histoire des propriétaires d’un tableau et avait ainsi retrouvé des œuvres que l’on croyait perdues ou que jusque là on avait totalement ignoré.

- Qu’est-ce qu’il a trouvé?

- C’est lui, vous vous en souvenez peut être, qui a trouvé un autre Sainte Anne de Léonard. Elle a été expertisée bien sûr, puis authentifiée et il l’a vendue au musée.

- Je m’en souviens maintenant en effet.

- Il a aussi trouvé une seconde Allégorie de la Prudence de Titien, des Tiepolo, Michel Ange… enfin beaucoup de trésors.

- Comment faisait-il pour que les propriétaires ne fassent pas monter les enchères?

- Souvent ils ne savaient pas ce qu’ils avaient chez eux par ignorance ou parce que le tableau original avait été recouvert d’une autre peinture médiocre. Alors il achetait mais proposait aux propriétaires de partager les bénéfices. Il n’aurait pas voulu profiter de leur ignorance. Il revendait aux musées les pièces maîtresses, les autres à des collectionneurs.

- Il a dû se faire des inimités dans le milieu?

- Il m’en avait parlé. «Jalousie» disait-il et il n’y prêtait aucune attention.

- Je peux vous assurer que Mermed n’a rien à voir avec ça.

- Je pense que ça a été le hasard seulement, peut être une dispute qui a mal tourné, mais pour quelle raison?

- Je crois que la raison est celle qu’il a invoquée au procès, il a vu votre mari mettre la main dans sa poche et il a eu peur, le coup est parti et votre mari est tombé sur l’angle de la marche.

- Quelles conséquences pour quelques mots!

- Oui.

- Et ce Mermed?

Gregor lui avait dit qu’il était en prison - en pleine mutation - qu’il ne savait pas pourquoi il avait tué Monsieur Dore, ce qui était une omission, pas un vrai mensonge puisque ni l’un ni l’autre ne savaient pourquoi il l’avait tué.

Elle lui avait montré les tableaux qu’ils avaient achetés pour eux et puis Gregor avait demandé

- Et les magasins?

- J’ai vendu la librairie au personnel qu’il avait formé, j’ai conservé la galerie, une femme remarquable m’aide à la tenir et en y passant deux journées par semaine je peux bien suivre l’affaire. Je la garde aussi parce que je connais mieux la peinture que les livres anciens.

Il l’avait remercié de son accueil,

- Je vous laisse mes téléphones, on ne sait jamais, si vous pensiez à autre chose.

- Je ne pense pas mais si quelque chose me revenait … De votre côté n’hésitez pas non plus.

- Merci. Une dernière chose, connaissez-vous ses principaux concurrents dans son domaine celui de la recherche de tableaux?

- Je peux les retrouver, mais il me faudra un peu de temps, je peux vous faire passer la liste.

- Ce serait bien, Merci encore.

Il était parti, préoccupé, des liens commençaient à apparaître dans cette histoire, et puis il se demandait s’il devait tout dire à Mermed. Les deux filles travaillaient dans les antiquités, les tableaux. Il savait, parce qu’il avait commencé à en parler avec Marie devant la Vierge de Lucques de Van Eyck au musée de Francfort, qu’elle connaissait très bien la peinture des Flandres et la peinture italienne.

Il demanderait aussi à Axel leur correspondant à Paris de lui retrouver les gens qui faisaient ce travail. Le lendemain, il avait parloir avec Mermed, il lui avait raconté son entretien en disant uniquement que Dore était libraire, qu’il avait passé l’après midi avec elle mais qu’elle ne savait rien.

- Je vais quand même chercher dans le passé de Dore, il est resté sept ans en prison…

- Où vas tu trouver ces renseignements?

- J’ai un ami de fac qui est à l’ambassade à Paris, il va pouvoir me présenter des flics qui pourront me renseigner et je vais faire faire des recherches dans les journaux de l’époque.

Tout cela il l’avait dit pour rassurer Mermed mais aussi parce qu’il comptait le faire pour son enquête Et puis il voulait toujours retrouver Marie, savoir ce qu’elle était devenue, il ne ressentait plus pour elle l’amour qu’il avait eu, mais cette fille avait compté dans sa vie alors comme Mermed pour Béa, il fallait qu’il comprenne ce qui s’était passé.

 

à suivre

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