Bien des vies et des morts étaient passées,
Notre clan savait garder le feu
Des steppes brûlées de l’été aux déserts balayés de vents inconnus.
Ce jour-là, j’étais le gardien du feu
Je me suis endormi, il s’est éteint.
J’ai été chassé du clan.
J’ai traversé des mers, escaladé des montagnes, évité des clans hostiles.
Un matin, une armée m’a enrôlé. J’ai été envoyé en Palestine,
J’étais le légionnaire qui a cloué le Roi des Juifs sur la croix du Golgotha.
Un matin, il n’était plus sur la croix.
On a dit que j’avais mal enfoncé les clous.
J’ai été chassé de Palestine.
Je suis reparti, j’ai à nouveau traversé des mers, escaladé des montagnes, évité des
populations hostiles, il y avait plus de monde sur terre, je suis arrivé dans des steppes
où des hommes à cheval m’ont emmené faire la guerre.
Partout où nous sommes passés, il ne restait que corps disloqués et ruines.
On a dit que je ralentissais la marche.
En vue de Vienne,
J’ai été chassé de cette armée.
A Londres, dans cette taverne, un soir d’ivresse, j’ai raconté ce que j’avais vu à
Christopher Marlowe
avant de le poignarder.
J’ai été exilé sur une île.
J’étais Caliban, mon verbe s’était fait haine.
A Naples, j’étais l’épée du Caravage
En Abyssinie, j’étais la jambe gangrenée d’un voyant.
En Sibérie, j’étais le bagne où Fédor a vu la maison des morts
A Prague, j’étais Gregor, répugnant insecte Samsa.
Je suis devenu Prospero, j’ai rejeté tous mes pouvoirs et mon verbe est devenu chair.
J’étais la partition sur laquelle Jan faisait tristement danser les notes
J’étais la feuille sur laquelle Marcel retrouvait le temps
J’étais le voyageur inassouvi
J’étais le saxophone de cet oiseau qui pleurait l’amour perdu
Avec la raison à Camarillo.
Et ce soir, je suis un conte d’automne.
©Mermed 2001