6 Juin 2021
Le Peuple
O vous qui célébrez tous les pouvoirs, ainsi
Que le canon des Invalides;
Et qui pendant la lutte aussi
N'êtes jamais plus homicides;
Les temps sont accomplis, le sort s'est déclaré,
La force sous le droit succombe ;
Par un effort désespéré
La liberté sort de sa tombe 2!
A présent paraissez ; à la tête des rangs
Cherchez quelques héros à proclamer très grands :
Mais, entre tous les noms que le siècle répète,
Un seul reste à chanter, cherchez, encore un nom,
Plus noble qu'Orléans, plus beau que la
Fayette,
Et plus grand que Napoléon.
SA GLOIRE
Le Peuple ! —
Trop longtemps on n'a vu dans l'histoire
Pour l'œuvre des sujets que des 3 rois admirés,
Les arts dédaignaient une gloire
Qui n'avait pas 4 d'habits dorés;
A la cour seule étaient l'éclat et le courage,
Et le bon goût et le vrai beau;
Les vêtements grossiers 5 du peuple et son langage
Faisaient rougir la
Muse et souillaient le pinceau...
Qu'enfin ce préjugé s'efface!
Nous avons vu le peuple et la cour face à face,
Elle, ameutant en vain ses rouges bataillons,
Lui, sous leur jeu 6 cruel marchant aux
Tuileries;
Elle, tremblante et vile avec ses broderies,
Lui, sublime avec ses haillons!
SA FORCE
C'est que le peuple aussi, malheur à qui l'éveille!
Lorsque paisible il dort sur la foi des serments;
Il laisse bourdonner longtemps
La tyrannie à son oreille.
Il semble
Gulliver environné de nains.
Voyez, par des fils innombrables,
Des milliers de petites mains
Fixer ses membres redoutables.
Ils y montent enfin, triomphent... le voilà
Bien lié...
Que faut-il pour briser tout cela?
Qu'il se lève!
Déjà de ses mains désarmées
Il lutte avec les forts où gît la trahison,
Et son pied en passant couche à bas les armées
Comme les crins d'une toison *.
SA VERTU
Je crois le voir encor, le peuple, aux
Tuileries,
Alors que sous ses pas lout le palais trembla;
Que de richesses étaient là'...
Ëtincelantes pierreries,
Trône, manteau royal sur la terre jeté,
Colliers, habits, cordons oubliés dans la fuite,
Enfin, tout ce qu'avait la famille proscrite
De grandeur et de majesté.
Eh bien, de ces
Iicmjis, rien, pour lui, qui le lente;
En les foulant aux pieds sa juslice est contente2,
El, dans ce grand chùleau d'où les valets ont fui,
Partout, sans rien détruire, il regarde, il pénètre,
Montrant qu'il est le roi, montrant qu'il est le maître,
Et que tout cela, c'est à lui!
SON REPOS
Non, rien de ces trésors qu'il voit avec surprise
Ne le tente !
Il confie à des princes nouveaux
Sa couronne qu'il a reprise,
Et puis retourne à ses travaux.
Maintenant, courtisans de. tout pouvoir qui règne,
Accourez; battez-vous, traînez-vous à genoux,
Pour ces oripeaux qu'il dédaigne
Et qui ne sont faits que pour vous.
Mais, lorsque des grandeurs vous atteindrez le faîte,
N'ayez point trop d'orgueil d'être assis sur sa tête,
Et craignez de peser sur lui trop lourdement;
Car, tranquille au plus bas de l'immense édifice,
Pour que tout, au-dessus, penche et se démolisse
Il ne lui faut qu'un mouvement!